Carnet n°3 : l'Italie, en route pour la mer !
- du 17 septembre au 5 novembre 2020 - P.
Après une excursion montagneuse en Suisse, nous voilà sur les routes plates de l'Italie. Nous avions prévu de traverser Milan du nord au sud pour atteindre la plaine du Pô, où s'étire jusqu'à la mer une route cyclable bien signalisée. Mais au dire de nombreux cyclistes, la capitale italienne sous le joug de la voiture est mal adaptée pour les vélos. C'est lors de notre séjour à Bellinzona, à 20 km de la frontière italienne, que nous décidons de suivre un autre itinéraire indiqué par des cyclistes chez qui nous sommes logés. Merci à eux !
Nous suivrons le lac Majeur afin de contourner Milan
par l'ouest, pour retrouver le fleuve Ticino que nous avions suivi depuis sa
source en Suisse. Il nous guidera jusqu'à la ville de Pavie où il se jette avec
grâce dans le fleuve Pô. Cet itinéraire nous permet de découvrir la campagne de
la Lombardie, qui vaut bien le détour.
La Lombardie :
Rien à dire, le lac Majeur, bleu cristallin,
offre une belle manière de terminer la visite des Alpes. Les montagnes, de plus
en plus basses, descendent en marches d'escalier vertes de forêts. Elles se
jettent abruptes dans les eaux du lac, laissant tout juste la place pour
quelques villages ocres et notre route, malheureusement partagée avec les voitures.
Les coins où poser la tente sont rares, les plages souvent privées, les
terrains en pente et la route proche.
Nous cherchons parfois de nouvelles routes pour
visiter les autres lacs ou de jolis villages perchés. A San Pietro, nous nous
perdons un peu. La route qui redescend au lac devient une piste, puis un
chemin, et débouche sur… : une plage pleine de touristes ! Nous
échangeons un regard complice et las : pas question de rebrousser chemin.
Tant pis, vélo à la main, nous traversons la plage de galets entre les
serviettes des vacanciers qui nous regardent étonnés. C'est la première fois
qu'on se sent observés comme des ovnis en Italie, mais pas la dernière…
Une
fois arrivés à l'autre bout du lac, nous rejoignons le Ticino, devenu une belle
rivière. Une piste cyclable la longe ou s'en écarte le long de canaux, les
"naviglie" de Milan. Quel plaisir de pédaler sereinement dans un
écrin de verdure ! Les palais des Visconti, ducs de Milans, ponctuent notre
parcours et nous rappellent la proximité de cet ancien et puissant duché.
D'ailleurs, c'est le week-end, la piste se remplit de cyclistes venus profiter
du soleil de fin septembre. En nous voyant chargés comme des éléphants, les
gens nous regardent arriver, sourient, et lancent des "ciao" plein
d'entrain à notre passage !
Nous
nous sentons plus acclamés que sur le tour de France, comme si nous revenions
d'une mission spatiale. On nous arrête, nous questionne, nous félicite, confirmant,
je dois bien l'avouer, tous nos stéréotypes sur la convivialité et la bonne
humeur italienne.
Posés
à un café, alors que nous dégustions une bruschetta, un autre cycliste s'assoie
avec nous pour causer et finit par nous prendre en photo. Un peu plus tard,
deux cyclistes nous barrent la route et nous obligent sympathiquement à boire
un coup avec eux à un Biergarten, un de ces bars extérieurs qui rappelle
l'ancienne occupation autrichienne de la région. La discussion fuse une
nouvelle fois, dans tous les sens, et nous finissons nos verres en répondant
aux nombreuses questions de ces deux italiens qui gesticulent autant qu'ils
parlent (c'est à dire vraiment beaucoup !). Joyeux et motivés, nous repartons
avant que les personnes des tables à côté, qui ont entendu d'où nous venions,
nous posent une foule de questions à leur tour.
Plusieurs jours se passent au son des "buon' viaggio!" (bon voyage)
et autres encouragements. Sur les places des villages, des scènes théâtrales
ont lieu, les gens se saluent joyeusement au milieu de belles maisons bariolées
s'empilant autour de ruelles escarpées. Nous arrivons à Pavie avec le moral au
top. Cette ville, comme toutes celles que nous traverserons, offrira une vision
de l'intelligence et du sens artistique des architectes de la Renaissance
italienne. Un peu plus loin, à la confluence du Ticino et du Pô, des myriades
d'oiseaux survolent les fleuves, dont les reflets colorés par le soleil
couchant vibrent au gré des courants. Le dôme de la cathédrale de Pavie se
découpe au loin dans le ciel violacé.
La plaine du Pô :
Le Pô, plus grand fleuve d'Italie, est longé par
une piste cyclable, l’Eurovélo 8. Celle-ci quitte le Pô
à son delta, borde l’Adriatique en passant par les pays baltes et se
prolonge jusqu’à la Grèce, et même un petit bout de la Turquie. Très bien,
c'est notre direction !
Les premiers jours se révèlent quelque peu ardus
avec le début de l’automne, la nuit tombe plus tôt, le vent se lève, quelques pluies
orageuses en guise de douches froides agrémentent une plaine agricole plate et
répétitive, et pas toujours bien signalée. Les gens, toujours amicaux, nous
indiquent et nous conseillent les routes, mais sont de moins nombreux sur les
chemins. Hormis
quelques petites portions, la piste cyclable reste praticable et agréable,
plate et sans circulation.
Un passage très sympathique dans la jolie ville de Busseto, ville de Verdi et de la musique, donne à notre équipe un regain d’énergie. Ce séjour est conté dans nos chroniques musicales (cliquez ici).
Par la suite, on nous conseille de faire un
détour par Mantoue. Nous y restons deux jours, tellement la ville est belle. Cernée
par un grand lac, elle présente un enchevêtrement un peu chaotique de places
parsemées d'arcades, de fontaines, de tours, d'églises et de palais diaprés,
entrelacés dans un labyrinthe de ruelles sinueuses. On y mange une spécialité de ravioles à la
courge, al dente bien sûr, qui nous rappelle un plat similaire du Mercantour.
Difficile d'en partir… surtout qu'au sortir de la ville, une horde de
moustiques nous attend le long du lac !
Mais l'aventure continue le long du fleuve, entre
petits chemins, plaines, forêts, envols de nuées d'étourneaux, rayons de soleil
qui percent les nuages, feux de camp le soir et nuits sous les étoiles. Le
vent nous pousse un peu, on se laisse aller. On se rend compte de la chance
qu'on a d'être sur les routes au gré de nos envies.
En ce début d'octobre, le temps se couvre de plus
en plus. Un soir, voyant les nuages noirs qui s'amoncellent, nous campons
derrière une haie protégée du vent. Après une nuit mouvementée, une surprise
nous attend : le Pô a monté et n’est plus si loin de la
tente !
La tempête Alex, qui a dévasté le sud-est de la France quelques jours plus tôt, est passée également en Italie, faisant déborder le Pô jusqu'ici. Quand la nature reprend ses droits…
Ferrare :
Nous arrivons à Ferrare, où nous faisons la connaissance d’une amie de mes parents, Paola, et son ami Federico, qui nous font sympathiquement découvrir la ville, son histoire, tous ses jolis recoins et sa gastronomie. Comme toujours se dresse une myriade de monuments extraordinaires, mais cette fois ordonnés entre les murs de la ville sur un plan en damier bien dessiné. En effet, Paola nous explique qu'au XVème siècle, l'architecte Biagio Rossetti dota la ville d'un plan d'urbanisme visionnaire, qui inspira par la suite de nombreuses autres cités. Ferrare fleurit pendant plus d'un siècle, les ducs d'Este qui la gouvernaient attirèrent à leur cour de nombreux artistes et humanistes. Puis, l'un des ducs n'eut pas de descendance et la ville fut déclaré fief vacant par le pape. La ville plongea alors dans la misère et peu de bâtiments furent construits en son sein, ce qui explique sa très bonne conservation actuelle.
Une
particularité de cette ville pourra intéresser plus d'un de nos lecteurs ;
Ferrare est autoproclamée par les italiens città delle biciclette (ville des
vélos). Un réseau dense de pistes cyclables sillonne la ville et même la
province, et de nombreux Ferrarais chevauchent, avec classe,
leurs bicyclettes. En plus c'est dimanche, il fait beau, Paola et Federico
nous raccompagnent à vélo jusqu'à la route du Pô. Encore un grand merci pour
cet accueil adorable et cette belle balade !
On
continue, le vent dans le dos, à fond les ballons, avec un objectif en tête.
Nous arrivons bientôt au delta du Pô, réputé à juste titre pour la beauté de
ses paysages et pour sa profusion d’oiseaux. Une multitude de mouettes nous
survolent ou se perchent sur des rondins, pour se laisser naviguer sur le Pô de
plus en plus en crue. Nous progressons sur des digues qui surplombent un
paysage aquatique, des canards nagent entre les peupliers, la route est bordée
des deux cotés par l'eau qui s'écoule et nous accompagne. Soudain, les forêts
se dégagent et la vue se découvre, la route s'achève et une forte
odeur de sel pénètre nos narines. Sur des kilomètres s'étend une étendue
bleue lisse et brillante, animée d'ondes tranquilles.
Que pouvions nous rêver de plus beau pour fêter nos 2000 kms ? Nous posons la tente le soir au bord d'une pinède donnant sur la mer, en compagnie de daims. Dans la nuit, leur brame automnale résonne sur le grondement sourd des vagues.
Notre
excursion de 3 semaines sur le Delta du Pô est contée dans notre seconde chronique nature (pour la découvrir, c'est par ici), et ravira on l’espère les amoureux de la nature que vous
êtes. En attendant, disons seulement qu'il s'agit d'un étonnant plongeon entre
terre et mer qui vaut la peine d'une halte.
Racontons
pour le contexte qu’une fois arrivés au bord de la mer, les deux ponts de
barque sensés permettre la traversée des nombreux bras du fleuve étaient fermés
à cause de la crue. Nous filons donc au sud faire une escale à Comacchio,
une mignonne petite ville de pêcheurs traversée de canaux, avant de
remonter vers le nord en contournant le delta, direction la Croatie.
Après
une centaine de kilomètres, à quelques pas de Venise, nous faisons une pause
dans un hôtel, pour nous poser et recharger nos batteries (à noter qu’en Italie
de nombreuses prises électriques nécessitent un adaptateur, trouvable en grande
surface). C'est le moment de faire le point : il commence à faire froid et
humide en cette mi-octobre, et nos journées vélos sont de plus en plus courtes,
même si la douceur du bord de mer reste agréable. Il est temps de retrouver la
chaleur en tournant nos regards finalement vers le sud. Un dernier argument
nous convainc : les restrictions d’entrée se durcissent en Croatie à cause du
coronavirus, tout comme dans la majorité de l'ex-Yougoslavie. Nous décidons
donc de repartir vers le sud, jusqu'à Ancône où nous prévoyons de prendre un
bateau pour la Grèce. D'autant plus qu'une partie du delta du Pô reste à
découvrir.
Mais avant cela, nous sautons dans le train pour une journée aller-retour à
Venise, la sérénissime.
Venise :
Que
devait ressentir le voyageur de l’époque découvrant une telle cité ? Venise
rayonnait sur une Méditerranée sans
touriste, et attirait autant les artistes que les commerçants explorant le
monde.
Aujourd’hui la ville s’affaisse lentement et disparaitra bientôt dans les
profondeurs marines. Après la peste noire et l’invasion napoléonienne, c’est
cette fois le tourisme de masse et son cortège de gros paquebots dans la lagune
qui sont les causes de son déclin. Le touriste du futur regrettera-t-il lui
aussi l’époque bénite où on pouvait visiter Venise sans scaphandre ?
Ces réflexions nous concernent, et questionnent notre part de responsabilité dans l’acculturation et la détérioration des lieux visités. Nous nous demandons s’il ne vaut pas mieux rester chez soi… Pourtant, le nom même de Venise sonne comme une invitation à l’exploration, après Marco Polo et Corto Maltese. Mais savons-nous vraiment quelle trace laisse le passage de nos roues ?
De nouveau sur la route :
Les jours suivants, nous longeons à nouveau la
mer vers le sud, et passons cette fois en plein dans le parc régional du delta
du Pô. Très pittoresque, les cabanes de pêcheurs et les petites routes sur les
digues s’enchaînent, nous conduisant d’un bras de fleuve à l’autre. Certaines
fois nous empruntons un petit pont de barques, d’autres fois des ponts avec
plus de trafic, mais en général les routes sont peu fréquentées, à condition
d’éviter les week-ends. Les digues surplombant les marais offrent de bons
emplacements pour bivouaquer sereinement, même si l’humidité et les moustiques
sont au rendez-vous. La zone est très sauvage et peu propice aux rencontres,
nous sommes toutefois accostés à deux reprises par des agents du parc, nous
donnant des conseils sur la route à suivre et nous offrant même quelques
fruits.
Au sortir du delta, nous progressons sur des bords
de mer très urbanisés, garnis d’immeubles hôteliers, de restaurants et de
snacks de plages. Il est parfois difficile de trouver où planter la tente à
l’abri des regards et de la lumière. Heureusement, tout est désert en ce mois
d’octobre, et les teintes des plages, de la mer et du ciel dénotent avec le
gris monotone du béton. En plus de cela, la route à vélo que nous suivons sur bicitalia
s’écarte régulièrement dans les terres et traverse de grands marais, lacs et
pinèdes sauvages. Juste avant Ravenne, une de ces pinèdes sera le théâtre d’une
nuit cauchemardesque, racontée dans notre article la pineta de l’enfer (cliquez ici).
Ravenne :
J’avais déjà visité Ravenne lors d’un voyage de classe en seconde, et retrouve avec nostalgie cette ville hors du commun pour la faire découvrir à Laura. Arrivés à 7h du matin après une petite nuit, le soleil disperse la brume qui s’était installée depuis plusieurs jours sur le lido. Nous profitons enfin de la lumière vive du soleil comme au sortir d’un rêve, non loin du mausolée de Théodoric, roi Ostrogoth maitre d’un grand royaume sur l’Adriatique au VIème siècle.
Connue
pour ses mosaïques, Ravenne a été la capitale de l’empire romain d’occident,
puis Goth, avant d’être rattachée à l’empire byzantin. Son architecture,
tournée vers l’autre coté de l’Adriatique, a des reflets d’Orient. Nous
parcourons son centre-ville et profitons des places et patios agréables pour
nous reposer un peu. Aux alentours de midi, nous prenons des tickets pour
visiter les fameuses mosaïques. Après une incompréhension avec le vendeur, nous
apprenons que les billets que nous venons d’acheter permettent de visiter cinq
monuments dispersés dans Ravenne, mais à des heures précises, justement marquées
sur ces-dits billets, Covid oblige. La première visite commence dans 5 minutes…
Pas le temps de se poser, une course contre la montre s’entame, qui
heureusement vaudra vraiment le coup !
Les
mosaïques, souvent placées dans de petites salles intimes, mausolées ou chapelles
de basiliques, se révèlent grâce à de petites fenêtres placées en hauteur dispersant
l’ombre et la lumière. Leurs couleurs vives se dévoilent dans des nuances d’ocre,
de vert, de bleu et de blanc sur fond d’or. Seules les scènes tapissant les
murs et les plafonds sont illuminées, le contraste avec l’obscurité des
monuments est saisissant.
Sur la place centrale non loin du tombeau de Dante, nous rencontrons un couple de cyclistes irlandais, échappant à leur confinement en errant sur les routes italiennes. Nous partageons avec eux notre désarroi vis-à-vis des nouvelles restrictions mises en place, avant de les saluer et de poursuivre notre chemin. La route qui quitte la ville traverse quelques forêts et mène à la mer, pour se retrouver à nouveau le long de la côte urbanisée. Nous y trouvons un hôtel à Cesenatico, le temps de revoir les plans pour la suite.
Une nouvelle vient alors bouleverser le cours de notre voyage : la France entre dans un nouveau confinement, suivi par de nombreux pays. Alors que nous étions à seulement 100km d’Ancône, point de départ de notre bateau pour la Grèce, nous craignons alors de nous retrouver bloqués en plein confinement pour une durée indéterminée. Nous prenons la douloureuse décision de rentrer en France pour l’hiver, en attendant la fin des restrictions... Après tout, si les animaux hibernent, pourquoi pas les vélos migrateurs ?
Nous profitons alors de nos derniers jours de non confinés : journée à Bologne, tours à vélo dans les alentours, balades à pieds… En ce début novembre, la météo est bonne et nous retrouvons avec plaisir le confort douillet d’un bon lit et d’une douche chaude. Un peu moroses, les derniers préparatifs pour le retour sont réglés, nous profitons alors une dernière fois du coucher de soleil en longeant la plage déserte à vélo.
Le
paysage statique n’est perturbé que par le mouvement des vagues, troublant par
intermittence la paix silencieuse du moment en se jetant avec douceur sur le
sable. Le crépuscule s’installe lentement et le soleil, peintre des nuages, délaisse
le ciel en faveur des étoiles et de la nuit. Une lune blanchâtre montre sa face défigurée, en attendant l’aube. Emplis par le moment présent, nous enfourchons nos vélos sur le sable et roulons
sur le rivage, nous laissant bercer par les petites vagues caressant nos roues,
pour cette dernière soirée en Italie.
Petit bilan pratique du voyage dans nord de l'Italie :
Qualité des pistes : Toujours très
bonnes et plates. Le site bicitalia nous a beaucoup
aidé, car certaines portions de routes cyclables manquent de signalisation. Méfiance sur les routes plus empruntées, certaines voitures ne font pas attention au cyclistes.
Vélos dans le train : On peut mettre les vélos dans tous les trains régionaux, à condition de prendre à coté un billet vélo pour la journée.
Prix de la vie : A peu près le même
qu’en France, les restaurants sont un peu moins chers.
Rencontres : On en a fait beaucoup,
sans effort, au début. Après, ça a diminué. Peut-être la côte adriatique
est moins peuplée hors vacances scolaires, peut-être à cause de la montée du
Covid… En tout cas, les gens sont souriants et aidants.
Météo entre fin-septembre
et début novembre : Il fait encore doux pour ce début automne (toujours au dessus
de 10°), un temps plus gris et quelques pluies.
Ce que nous avons préféré : la myriade d'oiseaux du delta du Pô et le passage musical dans la ville de Busseto avec ses airs d'opéra et ses bonnes glaces.
Ce que nous avons moins
aimé : Les
moustiques ou les chauffards, deux espèces prédatrices du cycliste italien.
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