Anecdote n°2 : le col du Nufenen pour les nuls !

 Le passage de la frontière linguistique et surtout géographique entre le Valais et le Tessin, nous aura laissé quelques souvenirs ! 

D'un côté, le nord germanophone, le Valais, où les villages montagnards se sont établis aux pieds de majestueux glaciers, tandis que de l'autre côté versant sud, où l'accent italien se fait entendre, les mélèzes vous accueillent pour redescendre vers des villes à l'architecture plus méditerranéenne.

Entre les deux, plusieurs cols au choix : le renommé col du Gottard, précédé du col de la Furka, où la descente est étroite et réputée dangereuse, le col du Simplon, le moins haut mais principal axe emprunté par une floppée de camions et enfin le Nufenenpass, à la route bien faite, progressif et plus tranquille. Enfin, pour ce dernier point, c'est ce que nous croyions. 

C'est donc ce dernier, le Nufenen, que nous choisirons pour cette première épopée alpine.

C'est après une nuit requinquante chez Estelle & Marc, nos deux hôtes warmshowers de Brig, leurs nombreux conseils en tête, que nous nous élançons sur nos deux montures le matin du 13 septembre, direction la gare de Bitsch. Ce petit "saut" en train nous permet d'éviter une portion de route au trafic élevé et à la pente raide, puis un passage relevant un peu trop pour nous du mountain bike. Peu après notre arrivée à la petite gare de Bitsch, les rails crissent, le train entre en gare. Nous sommes alors rassurés de voir l'accès côté passager tout plat, l'idéal pour charger nos vélos. Nous rejoignons pressement le wagon à l'avant du train, orné du fameux logo vélo pour découvrir avec horreur que l'idéal pour charger nos vélos ne l'est plus du tout : une marche de plus de 1 mètre nous sépare, nous et nos vélos et leurs 40 kg de l'intérieur confortable du wagon. Le mot "sauter" dans le train prend alors tout son sens, nous relevons nos manches et hissons à la force des bras de Piero de nos bras nos montures à bord. 1ère épreuve réussie ! 

Nous étions prévenus, impossible d'acheter nos billets à la petite gare de Bitsch, il nous fallait payer à bord directement auprès d'un contrôleur. Aucun contrôleur en vue, Piero échange donc quelques mots d'allemand avec le conducteur : 
- "Combien ça coûte pour deux personnes et deux vélos, s'il vous plaît ?
-   C'est gratuit, il n'y a pas de contrôle.
- Ah bon ??
- Mais si vous voulez, vous pouvez me donner l'argent à moi…"
Le conducteur rigole, fier de sa blague et se retourne concentré sur la route sinueuse qu'emprunte ce petit train au milieu des premiers alpages. Peu rassurés à l'idée du prix des amendes suisses, nous profitons tout de même de ce petit moment de répit.

Arrivés à Lax, je revois encore parfaitement aujourd'hui Piero dégringoler du train, son vélo dans les mains, atterrissant sur une jambe, et me demande toujours d'où lui vient cet équilibre (ou cette chance !).


Après quelques coups de pédales sur une route où défilent sans cesse voitures, motos et autres camions, nous sommes heureux de la quitter rapidement pour une descente le long du Rhône, suivie rapidement par une première rude montée en plein soleil vers Ernen. Avec la retombée des thermomètres en Suisse, annonçant les prémices de l'automne et les discussions intéressantes avec Marc autour de son vélo couché, nous en avions oublié les avantages d'un réveil aux aurores. Après quelques épingles raides, je décharge peu à peu quelques éléments pesants de mon vélo vers les sacoches de Piero (eh oui, c'est aussi ça l'amour !).

Nous continuons notre montée progressive au début sur le bitume, puis sur des pistes ressemblant de plus en plus (un peu trop à mon goût d'ailleurs) à une piste / sentier de mountain bike. Heureusement, le paysage remonte toujours le moral dans ces moments là ! Nous avions prévu sur cette première journée d'entamer un bout de la véritable montée du Nufenen, mais ce sera partie remise. Et c'est au pied d'un des premiers mélèzes retrouvé depuis notre départ du Mercantour, que nous planterons notre tente au coin d'un alpage et cuisinerons notre premier rösti au feu de bois. Le matin, nous décidons de prendre le temps et petit déjeunons en faisant sécher notre tente détrempée et loupons donc pour la seconde fois les heures fraîches matinales. Nous traversons le dernier village avant le col, Ulrichen, et observons avec satisfaction le nombre de véhicules filer tout droit vers la Furka, les motos quant à elles semblant préférer la direction du Nufenen. 

Nous rassemblons toutes les forces qui nous restent et nous élançons pour l'ascension, observant avec crainte la route s'élevant rapidement en altitude. Un lacet, puis deux, heureusement le soleil nous laissait quelques moments ombragés. Dans notre ascension, nous n'étions pas seuls, nombre de cyclistes courageux empruntent également cette route réputée pour sa beauté (et ce à juste titre), mais pas seulement : nombre de motards faisant des pointes de vitesse, voitures de touristes, caravanes, et à notre encore plus grand malheur voitures de course, pensant avoir trouvé dans cette montagne sauvage un nouveau circuit de rallye, oubliant toute règle de prudence élémentaire.

3oo mètres de dénivelés plus tard, s'en était trop, le plaisir d'évoluer dans de tels espaces était totalement gâché par ce défilé toujours plus incessant et stressant. Nous nous arrêtons alors sur le bord de la route à bout de souffle moralement, faisant le point sur la situation. Quelles solutions avons-nous ?  Redescendre et prendre un train, faire du stop avec nos vélos, planter la tente et repartir très tôt évitant la circulation pour au moins une partie de l'ascension ? 

Nous avions vu en partant d'en bas (clien d'oeil du destin ?), un de ces bus jaunes, anciens cars postaux, équipés de porte-vélos à l'arrière, partir sur la route que nous avions emprunté. Et surtout, nous avions vu quelques virages auparavant un arrêt de bus et décidons donc d'y retourner. Quelle déception de sentir l'air de la descente déjà nous souffler au visage ! Arrivés à l'arrêt, ouf, il y avait bien encore des bus qui passaient à cette heure de la journée, mais aïe, nous nous attardons sur la petite étoile qui précise que pour être accompagné de nos vélos, ils faut réserver la veille avant 16h. Piero reprend son allemand et appelle la compagnie voir s'il y a moyen de négocier. La dame, très compréhensive, nous explique qu'il y aurait sûrement de la place pour nous et nos vélos jusqu'à Airolo, car aucune réservation n'avait été faite la veille. Ravis et rassurés, nous la remercions et juste avant de raccrocher, lui demandons le prix.
- "Oui, pas de souci, je regarde ça. Mmmh, avez-vous un abonnement demi tarif ?
- Non.
- Très bien, avec vélo, ce sera 50CHF.
- .............. d'accord, pour les deux c'est bien ça ? Et, est-il possible de régler par carte ?
- Ça fait 100 francs pour deux (soit environ 92€). Non, c'est seulement en liquide dans le bus."

Avec notre billet de 20CHF en poche, notre contentement du début s'était vite estompé. Ce n'était pas la première fois que nous étions étonnés des différences de prix marquantes pour certaines choses, alors que de nombreuses autres choses restent abordables par rapport aux prix français. Au vue de la note pour faire 15 km, quelques recherches rapides étaient de mises : nous reconsidérons alors l'option du train, comparons avec les prix de bus juste jusqu'au col, d'autres horaires, puis après un nouvel appel à la pauvre standardiste, optons pour prendre le dernier bus de la journée, pour un montant de 60CHF. 

Au moment de repartir, un petit fourgon s'arrête un peu après nous et deux travailleurs commencent à inspecter un tuyau. Nos deux vélos rentreraient parfaitement dans leur camionnette ! Nous décidons de tenter notre chance. Malheureusement, ils nous expliquent qu'ils redescendent sur Ulrichen, le mauvais sens. Nous leur emboitons donc le pas à vélos, pour redescendre vers le point de départ, retirer de l'argent et attendre notre bus.

A croire que tout est fait en Suisse pour des géants costauds de 2m50 de haut : à l'arrivée du bus, je constate avec effroi la hauteur du crochet sensé suspendre nos pauvres vélos, à pas moins de 2m50 justement ! Nous y arrivons à bout de bras sous le regard complaisant de notre nouveau chauffeur qui nous annonce que finalement la note sera seulement de 38CHF ! Tout n'est pas perdu. Au vu des nombreux lacets vertigineux qui nous restaient à gravir, nous sommes finalement heureux de notre choix. 

Nous débarquons à la tombée du jour au fameux Nufenenpass, quelques degrés en moins, regardons le bus redémarrer et nous retournons vers la vue époustouflante qui s'offre à nous : myriade de sommets pour certains dépassant les 4000 mètres accrochés littéralement dans les nuages et entourés de près par de majestueux glaciers, les nuages glissant langoureusement sur ces pentes abruptes au rythme des rafales. Sans conteste, un des plus beaux panoramas de ma vie et pour sur le plus beau du voyage !

Nous y planterons la seule tente sur ce col, accompagnés de quelques vans et astronomes passionnés, venus admirer eux aussi le spectacle :  coucher de soleil sublime sur cette chaîne de montagne et ciel étoilé divin ! Nous nous endormirons bien au chaud au fond de nos duvets des milliers d'étoiles plein les yeux ! 

Le réveil à 7h sera un peu moins chaleureux, grâce à la gérante du kiosque de souvenirs près duquel nous avions mis notre tente à l'abri du vent, qui claquera et et redémarrera sa voiture à maintes reprises, râlant et marmonnant en allemand un charmant "das ist kein Campingplatz". Heureusement, la veille nous avions fait de meilleures rencontres, notamment avec une suisse italienne, qui nous voyant au col avec toutes nos sacoches, commençait à nous combler d'éloges. Nous l'arrêtons tout de suite, lui expliquant notre "tricherie" avec le bus, mais elle réussira à nous qualifier tout de même de "eroi" (héros) pour être venus jusqu'ici en vélo.

Après un lever de soleil tout aussi ravissant, nous nous élançons pour la redescente l'Italie en vue !     




      

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